Le "bilan hépatique" fait partie des prescriptions les plus souvent rencontrées en médecine : Il comprend 3 types d'enzymes, les transaminases (ALAT et ASAT), la phosphatase alcaline (PAL) la gamma-glutamyltransférase (GGT) (la bilirubine est parfois rajoutée en cas de suspicion de cholestase ou d'hémolyse). Les valeurs de référence de la plupart des examens biologiques sont établies à partir de mesures effectuées dans un groupe de personnes réputées en bonne santé. Les résultats obtenus pour chaque analyse se répartissent souvent selon une distribution gaussienne qui permet de définir une norme supérieure et inférieure correspondant à̀ ±1 déviation standard. Par définition, ce calcul implique que 2,5% de la population « saine » se trouve au-dessus et au-dessous de ces valeurs limites. Comme certains de ces tests ne sont pas spécifiques, leurs résultats doivent être interprétés selon le contexte clinique (importance de l’interrogatoire). Ils peuvent ainsi être discrètement élevés chez une personne saine ou être encore normaux en cas d’atteinte hépatique. Ils ne reflètent donc pas directement la gravité de l’atteinte hépatique contrairement aux tests non invasifs de la fibrose hépatique. 

Habituellement les patients et les médecins sont souvent alertés par des taux d’enzymes hépatiques pathologiques, et sont peu interessés par ceux inférieurs à la limite inférieure. Pourtant ils ne doivent pas être négligés car, s’ils sont rares et souvent bénins, ils peuvent être utiles à certains diagnostics médicaux. C'est à cette problématique que s'est attaquée une étude récente. A noter que les valeurs de référence sont évoqués de façon indicative, sachant qu'elles varient selon les automates, réactifs utilisées mais aussi selon la population étudiée.

Les valeurs basses des transaminases
Ces enzymes intracellulaires assurent le transfert du groupement -NH3 des acides aminés. Leur valeur dépend du sexe, de l’âge (augmentation au-delà de 60 ans), de la température corporelle, de l’indice de masse corporelle (IMC), ainsi que de facteurs héréditaires. Les valeurs habituelles se situent entre 6 et 25 UI/ chez la femme, entre 8 et 35 UI/L chez l’homme. Un taux abaissé peut être observé chez les femmes enceintes et lors d’infections urinaires. 
L’alanine aminotransférase (ALAT, TGP ou SGPT) se trouve majoritairement dans le foie. Une élévation de son taux sérique est souvent synonyme d’une destruction des cellules hépatiques. Elle est classiquement corrélée à une augmentation de la mortalité liée au foie et nécessite une enquête étiologique minutieuse. L’aspartate aminotransférase (ASAT, TGO ou SGOT) se trouve non seulement dans le foie mais également dans le muscle cardiaque, les muscles squelettiques, les reins, le cerveau, le pancréas, les poumons, les leucocytes et les érythrocytes. Elle est donc peu spécifique d’une lésion hépatique. 

  • La maladie alcoolique du foie : ALAT et ASAT nécessitent toutes deux le PLP (pyridoxal 5′-phosphate, forme biologiquement active de la vitamine B6) pour leur activité. Le déficit en PLP est fréquent chez les consommateurs d’alcool avec ou sans maladie hépatique. Ainsi, des valeurs plasmatiques de PLP ≤ 4 ng/mL ont été rapportées chez 57 % des patients alcooliques sans manifestation hépatique ou hématologique évidente. Exceptionnellement, des taux sériques d'ASAT et d'ALAT peuvent être normaux ou légèrement élevés, donc  faussement rassurants, chez les patients présentant une insuffisance hépatique grave lorsque le parenchyme hépatique est réduit de manière drastique. La chute des facteurs de coagulation, de l’albuminémie et l’hypoglycémie sont alors patentes.
  • La maladie cœliaque : La diminution du PLP peut également être due à une diminution de l'absorption intestinale de la vitamine B6, car les humains et les autres mammifères ne peuvent pas la synthétiser. L'intestin joue donc un rôle central dans le maintien et la régulation de l'homéostasie de la vitamine B6. Chez les patients présentant des manifestations classiques de maladie cœliaque, on observe souvent une malabsorption conduisant à des carences en micronutriments et en vitamines. Des niveaux insuffisants de vitamine B6 peuvent ainsi entraîner une réduction de l'activité aminotransférase affectant la conversion et la synthèse de nouveaux acides aminés.
  • La maladie de Crohn : La malnutrition est constatée chez jusqu’à 85 % des patients atteints de cette affection inflammatoire fréquente, lorsqu’il existe une atteinte active de l’intestin grêle provoquant des lésions ulcérées importantes de la muqueuse et lorsque ceux-ci ont été opérés avec une anse borgne entraînant une prolifération bactérienne. Environ 30 % des patients atteints de la maladie de Crohn présenteraient un déficit en vitamine B6.
  • L’insuffisance rénale chronique : Chez les patients en pré-dialyse, la réduction du taux d'aminotransférase sérique est proportionnelle à la progression de la maladie d’après deux études. De faibles taux de vitamine B6 ont été signalés chez 83 % des patients atteints de glomérulonéphrite chronique et chez 14 % des patients dialysés. Bien que le mécanisme exact de taux sériques d'aminotransférases inférieurs à la normale dans l'IRC reste controversé, les raisons possibles sont : la gravité de l'altération de la fonction rénale causée par un dysfonctionnement glomérulaire, une hémodilution, une carence nutritionnelle en pyridoxine et/ou la présence d'une substance inhibitrice contemporaine de l’urémie (homocystéine ?). La restriction alimentaire peut également limiter les aliments riches en vitamines, en particulier en vitamines hydrosolubles, en raison de leur teneur élevée en potassium ou en phosphore.
  • Les causes rares : En cas de lésion hépatique grave ou d’insuffisance hépatique fulminante, une perte importante d’hépatocytes peut entraîner une diminution de la libération d’aminotransférases dans la circulation sanguine, abaissant leurs taux sériques à des valeurs inférieures à la normale. L’ictère associé à la chute du taux de prothrombine et du facteur V sont alors au 1er plan. 

La diminution de la phosphatase alcaline

La PAL se trouve majoritairement dans le foie et les os. Dans le foie et le système biliaire elle hydrolyse les esters de l’acide phosphorique, convertit certains intermédiaires d'acides biliaires en acides biliaires primaires essentiels à la digestion et à l'absorption des graisses alimentaires, et participe à la formation et le maintien de microvillosités canaliculaires à la surface des hépatocytes, qui aident l'excrétion de la bile dans les canalicules biliaires.
Son taux varie de 36 à 120 U/l chez l’adulte avec de fortes variations chez l’enfant. La PAL est physiologiquement élevée durant le troisième trimestre de la grossesse et chez les adolescents en croissance. Le dosage concomitant de la GGT permet de déterminer l’origine d’une l’élévation de la PAL : si celui-ci est normal, l’origine est osseuse, sinon elle soit intra soit extra-hépatique. 
Une PAL basse est le plus souvent synonyme d’un grave dysfonctionnement du foie (insuffisance hépatocellulaire) pouvant être engendré par plusieurs causes (hépatite ou cirrhose par exemple). Plusieurs affections peuvent néanmoins expliquer la diminution sérique de cette enzyme en dehors de ce contexte évident.

  • La maladie de Wilson : Cette maladie autosomique récessive, se traduit par une surcharge intrahépatique en cuivre responsable de formes aiguës ou chroniques. Elle se manifeste souvent par des troubles neurologiques non spécifiques associés à des lésions de la substance grise à l’IRM cérébrale et à un anneau de Kayser-Fleischer autour de la cornée (qui manque cependant dans la moitié des formes hépatiques). Une fonction anormale de la protéine ATP7B induit une excrétion réduite de cuivre dans la bile, à l’origine de son accumulation dans le foie, ainsi qu’une diminution de l’incorporation du cuivre dans la céruloplasmine qui s’abaisse dans le sérum (< 0,1 g/L) avec augmentation de la cuprurie des 24h basale (> 100 μg/j). Lorsque la capacité de stockage hépatique est dépassée, le cuivre est déplacé à partir du foie par voie systémique, à l’origine des lésions multi-organes. La maladie de Wilson débute généralement par une période présymptomatique au cours de laquelle l’accumulation de cuivre hépatique va favoriser le développement d'une cirrhose. Des taux de PAL inférieurs à la normale ont été observés chez 60 à 90 % des sujets porteurs d’une maladie de Wilson, principalement chez ceux présentant une insuffisance hépatique sévère. 
  • La malnutrition : Elle peut diminuer l'activité de la PAL par plusieurs mécanismes, y compris des carences en protéines, vitamines, minéraux et nutriments essentiels à la synthèse et au fonctionnement de la PAL. Dans les cas graves de lésions hépatiques, les taux de PAL peuvent être diminués et jouer un rôle dans la minéralisation osseuse. Enfin, les lésions ou inflammations intestinales causées par la malnutrition peuvent réduire la production de PAL. L'hypoalbuminémie, souvent associée à la malnutrition, contribue à des taux de PAL inférieurs à la normale, notamment chez les enfants. 
  • Les causes rares : De nombreuses études ont montré que la carence en Zinc diminue l'activité des enzymes et des minéraux liés aux os comme la PAL, le calcium, le phosphore et le magnésium. Des taux inférieurs à la normale de 5′-nucléotidases ont été associés à l’intoxication au plomb et à l’anémie hémolytique non sphérocytaire. L’hypophosphatasie, maladie héréditaire osseuse rare, systémique et progressive comporte un déficit génétique en PAL vitamine B6 dépendante non spécifique de tissu hépatique (TNSALP) secondaire à une mutation du gène ALPL. C’est un facteur de mauvais pronostic chez les nourrissons. 

La baisse de la GGT
La GGT est présente dans divers tissus, notamment le foie, les voies biliaires, les reins, le pancréas et l'intestin. Elle collabore normalement avec le glutathion pour transporter les peptides dans la cellule à travers la membrane cellulaire. Cette enzyme microsomiale est habituellement un marqueur de cholestase hépatique chronique. Elle est également élevée lors d’induction, par exemple par certains médicaments et l’alcool. Les taux sériques normaux varient de 9 à 36 UI/L chez la femme et de 12 à 64UI/L chez l’homme.
Des taux de GGT inférieurs à la normale ont été signalés dans la cholestase intrahépatique aiguë due à une lésion hépatique d’origine médicamenteuse, virale et auto-immune. De plus, l’utilisation de clofibrate a été associée à une GGT basse chez certains individus. Les agents qui affectent le remodelage osseux tels que les œstrogènes, la vitamine D et l’hormone parathyroïdienne peuvent également influencer les taux de GGT. 

En conclusion, des taux d'enzymes hépatiques inférieurs à la normale, notamment les transaminases, la PAL, la GGT, peuvent être associés à une maladie insoupçonnée alors qu’ils sont fréquemment demandés pour dépister une maladie hépatobiliaire associées à des taux élevés. Leur reconnaissance peut conduire à des diagnostics pouvant permettre une intervention précoce, avant le stade de fibrose hépatique avancée. A noter néanmoins que comme pour tout résultat de laboratoire, des erreurs sont possibles et des tests répétés doivent être effectués pour confirmer les résultats avant d’entreprendre un bilan étiologique qui reste encore l’objet de recherches portant notamment sur un déficit en vitamine B6. 

Ref : Youssef EM, Wu GY. Subnormal Serum Liver Enzyme Levels: A Review of Pathophysiology and Clinical Significance. J Clin Transl Hepatol. 2024 Apr 28;12(4):428-435. doi: 10.14218/JCTH.2023.00446.