La diminution de la numération plaquettaire au cours de la grossesse est dans une certaine mesure physiologique et multifactorielle. Elle s’explique par un phénomène de dilution du fait de l'augmentation du volume plasmatique mais aussi par un mécanisme de séquestration au niveau des vaisseaux sinusoïdes de la rate du fait de l'augmentation fréquente de celle-ci et enfin de séquestration placentaire.

Néanmoins, depuis les années quatre-vingt dix, il a été rapporté dans plusieurs grandes études qu'environ 5 à 10 % des femmes avaient un chiffre de plaquettes inférieur à 150G/L au moment de l'accouchement. Cette thrombopénie dite gestationnelle qui ne s'accompagne d'aucun signe hémorragique ni chez la mère ni chez le nouveau-né a été considérée comme une accentuation de la diminution du chiffre plaquettaire constatée chez toutes les femmes enceintes selon une distribution normale. Toutefois, peu de données précises existent sur le moment à partir duquel le chiffre plaquettaire décroît, sur l'évolution de celui-ci tout au cours de la grossesse, sur le retentissement de la thrombopénie au cours des grossesses  non compliquées ou au contraire sur le caractère de la thrombopénie au cours des grossesses compliquées (comme par exemple au cours de l'éclampsie), enfin sur l'évolution de la thrombopénie et son retentissement dans les situations où elle existait déjà avant la grossesse (cas des thrombopénies auto-immunes ou plus rarement constitutionnelles).

Cette étude a donc eu pour objectif de préciser ces données. Dans ce but, ont été incluses 4 568 femmes de 15 à 44 ans dont les grossesses ont été suivies au Centre médical universitaire de Oklahoma de janvier 2011 à août 2014. Les grossesses étaient dites non compliquées en l'absence, avant ou au cours de la grossesse, d'HTA, de diabète gestationnel ; en l'absence de survenue de pré-éclampsie ou éclampsie, de HELLP syndrome (Hemolysis, Elevated Liver enzymes, Low Platelet count) de fausse couche, ou d'accouchement prématuré et enfin en l'absence d'anomalies placentaires (placenta praevia, abrupto ou accreta). Elles ont été comparées à 2 586 femmes ayant eu une grossesse compliquée et 197 ayant préalablement à la grossesse une affection pouvant s'accompagner de thrombopénie Le groupe contrôle était constitué de 8 885 femmes non enceintes suivies dans le registre NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey) de 1999 à 2012 et appariées selon l'âge, la race et l'ethnie dont la valeur moyenne de la numération plaquettaire était de 273G/L. Le chiffre plaquettaire était mesuré de façon automatique au début de chaque trimestre de la grossesse, le plus proche possible de l'accouchement et au cours du post-partum.

Concernant les grossesses non compliquées les valeurs des numérations plaquettaires diminuaient significativement au cours de la progression de la grossesse. Ainsi la moyenne était de 251 G/L au premier trimestre, de 230 G/L au deuxième trimestre (en moyenne à 22,0 semaines de gestation), de 225 G/L au troisième trimestre (en moyenne à 32,1 semaines de gestation) et de 217 G/L au moment de l'accouchement (en moyenne à 39 semaines de gestation). Par contre, au cours du post-partum (en moyenne 7,1 semaines après l'accouchement) le chiffre plaquettaire était de 264 G/L et ne différait pas significativement de celui des femmes non enceintes. Les chiffres plaquettaires au cours du premier trimestre et au moment de l'accouchement étaient distribués de façon normale comme c'est le cas chez les femmes non enceintes. Au moment de l'accouchement, le chiffre plaquettaire était significativement plus élevé chez les femmes noires par rapport aux femmes blanches ou d’origine hispanique et chez les femmes très jeunes (15 à 19 ans) par rapport aux femmes plus âgées. Parmi ces grossesses non compliquées, l'on notait un chiffre plaquettaire inférieur à 150G/L chez 450 femmes (9,9 %), taux superposable à celui rapporté dans les études antérieures ; un chiffre inférieur à 100G/L chez 45 femmes (1 %) et inférieur à 80G/L chez 12 femmes dont 5 (0,1 %) pour qui la thrombopénie n'avait pas de cause retrouvée en dehors de la grossesse. Il n'y avait pas de thrombopénie inférieure à 60 G/L en dehors d'une cause extérieure à la grossesse. 

A l'accouchement, le chiffre plaquettaire enfin était légèrement inférieur chez 93 femmes ayant eu une grossesse gémellaire par rapport aux autre femmes : en moyenne à 197 G/L vs 214 G/L. 

57 femmes ont eu une grossesse initiale non compliquée avec un chiffre plaquettaire inférieur à 150G/L et et une 2ème grossesse. 63% d’entre elles ont de nouveau présenté un chiffre plaquettaire inférieur à 150G/L. En comparaison, parmi les 472 femmes qui n'avaient pas présenté de thrombopénie lors de leur grossesse initiale seulement 4,4 % ont présenté un chiffre plaquettaire au-dessous de 150G/L. Ainsi le fait d'avoir eu une thrombopénie lors d'une grossesse antérieure augmentait d'un facteur 14 le risque d'avoir un chiffre plaquettaire inférieur à 150 lors d'une grossesse ultérieure.

Concernant les grossesses avec complications telles que décrites plus haut, le chiffre plaquettaire diminuait régulièrement au cours de la grossesse par rapport au chiffre avant grossesse mais le rythme de décroissance, d'abord similaire à celui des femmes avec grossesse non compliquée, devenait beaucoup plus marqué au cours du 3e trimestre. Au moment de l'accouchement, on notait un chiffre plaquettaire inférieur à 150 G/L chez 12%, inférieur à 100G/L chez 2,3 %, inférieur à 80 G/L chez 1,2 %. Ces taux sont significativement plus élevés qu'en cas de grossesse non compliquée. C’est bien sûr en particulier que 7 femmes en cas de HELLP syndrome que la baisse est la plus marquée une (médiane à 61 G/L, intervalle de 32-78 G/L).

Concernant les grossesses survenant chez des femmes ayant une pathologie plaquettaire préexistante le chiffre diminuait de façon significative tout au cours de la grossesse pour être à chaque trimestre significativement inférieur à celui noté en cas de grossesse non compliquée (p < 0,04). A l'accouchement, le chiffre plaquettaire était inférieur à 150G/L chez 20 % des femmes et inférieur à 80G/L chez 8,6 % d’entre elles avec une médiane à 48 G/L (4-77G/L). Un taux inférieur à 80G/L était retrouvé chez 54 % des femmes souffrant de purpura thrombopénique immunologique.

Cette étude montre précisément que le chiffre plaquettaire diminue chez toutes les femmes au cours de la grossesse, même non compliquée, dès le premier trimestre, de 17 % environ. Le chiffre plaquettaire est déterminé génétiquement et il suit une distribution normale.  Les femmes ayant un chiffre dans les valeurs basses peuvent présenter un chiffre inférieur à 150G/L pendant leur grossesse même non compliquée avec un nadir lors de l'accouchement, ce qui est observé chez 10 % des femmes. Cette étude souligne que seulement 45 femmes sur 4568 soit 1% ont présenté un chiffre plaquettaire inférieur à 100G/L en cas de grossesse non compliquée et aucune un chiffre inférieur à 60G/L. Devant une thrombopénie inférieure à 100G/L observée au cours d'une grossesse non compliquée, la recherche d'une autre cause pouvant induire une thrombopénie en dehors même de la grossesse et de ses complications s'impose donc.

Ref : Buckley MF et al. Thrombosis and Haemostasis 2000;83:480-484.
2-Reese JA et coll. : Platelet Counts during Pregnancy. New Engl J Med., 2018; 379: 32-43.